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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

l’énergie du désespoir, s’empara de moi pendant cette soirée.

« Pendant que j’étais assise là, M. Haukehurst vint à moi et me dit que mon père avait été mêlé à une querelle d’une nature honteuse sur laquelle je n’ai pas besoin de m’expliquer, chère amie. Il me conseilla de quitter Spa, il fit plus, il insista même avec énergie pour que je suivisse son conseil. Il avait le plus vif désir de m’arracher à cette existence misérable.

« Votre futur avait de nobles et généreux instincts, même alors, vous le voyez, ma chère. Dans ses plus mauvais jours, il n’était pas méchant du tout, et il ne fallait que votre douce influence pour purifier et élever son caractère.

« Il me donna tout l’argent qu’il possédait pour subvenir aux frais de mon voyage.

« Ah ! quel triste voyage !

« Je quittai Spa dès le point du jour, et je voyageai en troisième classe jusqu’à Anvers avec des Belges qui empestaient l’ail ; je passai la nuit dans une modeste auberge sur le quai, et je m’embarquai pour l’Angleterre sur le Baron Ozy, à midi, le lendemain.

« Je ne saurais vous dire à quel point je me trouvai isolée à bord du steamer.

« J’avais précédemment voyagé dans des conditions peu confortables, mais jamais sans mon père et Valentin, et il avait toujours été très-bon pour moi. Si j’étais misérablement habillée et si nous étions mal jugés par nos compagnons de voyage, je ne m’en inquiétais pas. L’esprit de la bohème était fortement prononcé en moi dans ce temps-là Je me rappelle comment, assis à côté l’un de l’autre sur le même ba-