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LA FEMME DU DOCTEUR

notre avenir qui, — le ciel prenne en pitié notre folie et notre présomption ! — est si différent, lorsqu’il se réalise, des rêves qu’il nous a inspirés. Gilbert vécut plusieurs fois ce jour de fête depuis le lundi soir où il avait reçu la lettre jusqu’au mercredi matin désigné. Il ne dormit pas la nuit malgré la fatigue du jour, pensant à Isabel et à ce qu’elle lui dirait, et comment elle le regarderait. Il fit tant et si bien que ces paroles et ces regards imaginaires lui bouleversèrent le cœur et qu’il en vint à croire que tout ceci était réel et que son amour trouvait un écho. Son amour ! L’aimait-il donc déjà, cette jeune fille pâle qu’il n’avait vue que deux fois ; qui pouvait être aussi bien une Florence Nightingale qu’une Brinvilliers, autant qu’il pouvait la juger sous l’un et l’autre aspect ? Oui, il l’aimait ; cette fleur merveilleuse et fantasque s’était épanouie soudain. Il aimait cette jeune femme, il avait foi en elle, et il était prêt à l’amener dans sa simple maison dès qu’il plairait à celle-ci d’y venir. Il se la représentait déjà, assise en face de lui, dans le petit parloir, lui préparant du thé dans une théière en métal anglais, cousant de vulgaires boutons à ses vulgaires chemises, discutant avec Mathilda la question de savoir s’il y aurait du roastbeef ou du mouton bouilli pour le dîner, veillant seule dans ce petit parloir vulgaire lorsqu’il arriverait que les malades du docteur seraient désagréables et tiendraient absolument à être malades la nuit, et attendant le moment de faire les honneurs de petits soupers composés de viandes froides, de conserves au vinaigre, de pain, de fromage et de céleri. Oui, George se représentait Mlle Sleaford en héroïne d’un roman domestique de ce genre-là, et il manquait absolument du tact néces-