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LA FEMME DU DOCTEUR.

— Non, Master George, il n’en est rien. Et c’est précisément ce qui m’a remis en mémoire le regard de la charmante créature par cette belle journée d’été, pendant qu’elle se tenait, vêtue dans ses habits de noce à côté de son mari qui l’idolâtrait. Il en était fou, et pendant deux ans environ il fut très-heureux, et il disait sans cesse à ses amis qu’il avait rencontré la meilleure femme des Trois-Royaumes, ainsi que la plus tranquille et la plus travailleuse. Mais elle semblait attendre quelque chose, et, un beau jour, un jeune soldat qui revenait de l’Inde arriva chez eux. C’était son cousin germain et il avait été le voisin de sa famille alors qu’elle n’était qu’une enfant. Je ne vous raconterai pas l’histoire, Master George, parce qu’elle n’est pas des plus agréables à dire non plus qu’à entendre. Mais la fin de tout ceci fut qu’une belle matinée d’été — pareille à celle de son mariage — on trouva mon pauvre camarade Joë pendu derrière la porte d’une de ses granges. Quant à la malheureuse créature qui causa sa mort, personne n’a jamais su ce qu’elle devint. Et cependant, — conclut Jeffson d’un ton de réflexion, — j’avais entendu ce pauvre diable de Joë me dire avec bien de la conviction que sa femme finirait bien par l’aimer, parce qu’il l’aimait avec passion et loyauté !

George ne répondit rien à tout cela. Il continua lentement son chemin, la tête penchée sur sa poitrine. Le paysan regardait avec anxiété son maître ; il ne pouvait voir l’expression du visage du jeune homme, mais à son attitude il devinait que le récit de la mésaventure de Joë Tillet n’avait pas été sans le désenchanter.

— Écoutez, Master George, — dit Jeffson, posant