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LA FEMME DU DOCTEUR.

et en se comparant avec Lucie Ashton et Zuleika, avec Amy Robsart, Florence Dombey, et Medora, elle commença à penser que les romanciers et les poètes étaient tous dans l’erreur, et qu’ici-bas il n’existait ni héros, ni héroïnes.

Voici quelles étaient ses pensées, et elle fut heureuse de sacrifier les rêves insensés de son enfance, qui étaient probablement aussi irréalisables que séduisants. Elle fut heureuse de penser que sa destinée était fixée et qu’elle allait être la femme d’un honnête homme et la maîtresse d’une antique maison dans une des plus tristes villes de l’Angleterre. Le temps s’était écoulé si doucement, depuis ce crépuscule de printemps sur le pont de Hurstonleigh, sa promesse avait été regardée comme une chose si naturelle par les gens qui l’entouraient, qu’elle n’avait jamais conçu l’idée de la rompre. Puis, pourquoi l’aurait-elle rompue ? George l’aimait, et elle n’était aimée de personne, lui excepté. Il n’existait pas par le monde de Jamie errant qui pût revenir un beau soir la terrifier par l’aspect de son visage triste et accusateur. Si elle ne devenait pas la femme de George, elle ne deviendrait rien ; — elle resterait à jamais gouvernante, chargée de l’éducation d’enfants inintelligents et gagnant vingt-cinq livres par an. Quand elle pensait à sa lamentable position et à un autre sujet qui lui était excessivement pénible, elle s’attachait à George, elle lui était reconnaissante, et elle s’imaginait l’aimer.

Le jour du mariage arriva enfin. C’était une triste journée de janvier pendant laquelle Conventford avait revêtu son aspect le plus désolé et le plus repoussant. Raymond laissa partir sa gouvernante après le simple cérémonial protestant qui paraît bien mesquin et bien