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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/16

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LA FEMME DU DOCTEUR.

sans cesse, en tous lieux, la nuit et le jour, au héros de ce magnum opus. En attendant il écrivait pour son public, public qui achète sa littérature de la même manière que son pudding, — par tranches d’un sou.

Il y avait peu de choses à voir dans la cour sur laquelle ouvrait la fenêtre ; aussi George se mit-il à examiner son ami, dont la plume rapide courait sans trêve ni relâche sur le papier, ce qui dénotait un style hardi à la façon de Dumas, plutôt qu’une composition soignée à l’exemple de Johnson ou d’Addisson. Sigismund ne s’arrêta qu’une seule fois pour reprendre haleine, mais il profita de ce répit pour porter des coups furieux à son faux col avec un couteau à papier taché d’encre qui se trouvait sur la table.

— Je me demande simplement si un homme se coupe la gorge de droite à gauche ou de gauche à droite, — dit Smith en réponse au regard effrayé de son ami. — Il est bon d’être naturel, aussi naturel qu’on peut l’être à raison d’une livre la page ; — la page de deux colonnes et de quatre-vingt-une lignes par colonne. Un homme doit se couper la gorge de gauche à droite ; s’il s’y prenait autrement, il se hacherait en morceaux.

— Alors il y a un suicide dans ton histoire, — dit George avec un regard d’effroi.

— Un suicide ! — s’écria Sigismund, — un suicide dans la Fiancée du Contrebandier ! Mais les suicides y fourmillent ! Il y a le duc de Port-Saint-Martin, qui se mure lui-même dans sa cave ; il y a Léonie de Pasdebasque, la danseuse, qui se jette par-dessus le bord de la nacelle de l’aérostat particulier du Comte César Maraschetti ; il y a Lilla, la jeune fille muette, — le public à un sou aime les jeunes filles muettes, —