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LA FEMME DU DOCTEUR

Ont-ils jamais essayé de se comprendre ? Pendant ces longues années d’ennui, ont-ils jamais tenté consciencieusement d’assimiler des goûts si contraires ? La femme s’est-elle jamais dit : « Mon mari travaille beaucoup et rentre le soir très fatigué de sa maison de banque et, néanmoins, je prétends que son visage doit s’éclairer d’enthousiasme quand je lui parle du dernier roman publié chez Mudie, ou du quatuor de Beethoven que j’ai entendu au concert de ce matin. Ne serait-il pas plus intéressant pour lui que je lui demandasse si Crashem et Smashem, — cette maison compromise dont il a si légèrement accepté le papier, — ont payé leur dernier effet ! Je ne m’intéresse pas à Crashem et Smashem, et je ne possède que des notions vagues sur la nature et les propriétés d’une lettre de change ; mais ce sujet est une question de vie ou de mort pour le pauvre diable de travailleur assis en face de moi, et il est préférable qu’il ouvre son cœur et qu’il parle à loisir sur la stagnation des affaires dans la Cité, la rareté de l’argent, le taux élevé de l’escompte, plutôt que de se mettre à soupirer de temps en temps d’une façon lamentable pendant que je bavarde sur le dernier volume du roman ou sur le délicieux arpeggio du quatuor. »

Il n’existe pas d’occupation si vulgaire et si prosaïque, pas de travaux si abstraits, pas de science si inabordable, qu’une femme intelligente n’y puisse prendre de l’intérêt si elle le veut ou le désire. Elle n’en aura qu’une teinture, peut-être, — quelques bribes à peine ; mais elle en saura assez si elle apprend à écouter intelligemment quand son mari lui parle, et à placer une question judicieuse qui le poussera un peu plus loin sur ce chemin agréable