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LA FEMME DU DOCTEUR

pendant laquelle une jeune personne de dispositions sentimentales sait à peine distinguer le filet de bœuf rôti du veau braisé ; mais elle remarqua que les fourchettes étaient d’acier, et que leurs manches noueux faisaient penser à une espèce de cerf excessivement sauvage. Le moutardier était en métal garni de verre bleu, les assiettes en forme de panier, et il y avait une cruche en grès pour la bière brune du cru ; en un mot, tout lui parut laid et vulgaire.

Après le repas, Mme Gilbert s’amusa à parcourir la maison avec son mari. Tout bien considéré, c’était une maison très-tolérable. Mais elle n’était pas jolie. Elle avait été habitée par des gens qui se regardaient comme satisfaits tant qu’ils avaient des sièges pour s’asseoir, des lits pour dormir, des tables, des tasses, et des assiettes pour les usages ordinaires des repas, et qui auraient regardé l’achat d’une chaise sur laquelle on n’aurait pas pu s’asseoir ou d’une tasse dans laquelle on n’aurait jamais bu, comme quelque chose d’inutile et d’absurde pour ne pas dire coupable, puisque cela comportait une dépense d’argent qui aurait pu être consacré à un meilleur usage.

— George, — dit avec douceur Isabel quand elle eut visité toutes les chambres, — n’as-tu jamais pensé à remeubler la maison ?

— À la remeubler ?… Que veux-tu dire, Izzie ?

— Je veux dire acheter un autre mobilier, mon ami. Celui-ci est bien vieux !

George le conservateur hocha la tête.

— Je l’en aime davantage pour cette raison, Izzie, — dit-il. — C’était celui de mon père, vois-tu, et avant lui, celui de son père. Je n’en changerais pas un fétu pour rien au monde ; de plus, c’est un mobilier