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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/178

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LA FEMME DU DOCTEUR.

mari, occupé chez ses malades, n’avait pas le temps de l’accompagner. Elle faisait de longues excursions dans ces campagnes charmantes et songeait à cette existence qui ne devait jamais être la sienne. Elle parcourait seule les sentiers agrestes bordés de haies en fleurs, et elle s’asseyait, toujours seule, au milieu des boutons d’or et des pâquerettes, un livre sur les genoux, dans un coin de prairie ombragé où l’aubépine luxuriante formait un dais naturel au-dessus de sa tête. Les rares passants qui traversaient les champs des environs de Graybridge trouvaient souvent la jeune femme du médecin assise à l’ombre d’une vaste ombrelle verte, ayant à côté d’elle un monceau de fleurs sauvages se fanant dans l’herbe, et un livre ouvert sur les genoux. Parfois elle s’aventurait jusqu’à Turston’s Crag, château de lord Turston ; bonne vieille construction, île d’une splendeur gothique perdue au milieu d’un océan de vertes prairies, où l’on voyait, à l’ombre d’un noble édifice, une cascade, un moulin, et une maisonnette de meunier comme on n’en voit que dans les tableaux. Un pont rustique était jeté sur cette cascade bruyante et un chêne monstrueux couvrait de ses rameaux touffus toute la largeur du ruisseau. C’était sur un banc grossier, à l’ombre de ce patriarche des arbres, qu’Isabel aimait à s’asseoir.

Les gens de Graybridge ne tardèrent pas à remarquer les allures de Mme Gilbert et donnèrent à entendre qu’une jeune personne qui consacrait une si grande partie de son temps à la lecture des œuvres de fantaisie, ne pouvait guère être le modèle des épouses. Moins de trois mois après son mariage, les dames qui avaient connu George garçon, commençaient à le plaindre et lui prédisaient déjà une carrière de mal-