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LA FEMME DU DOCTEUR.

Hélas ! avec quelle allure persistante et mesurée, invisible aux rayons du soleil des premières années, l’impitoyable Némésis ne suit-elle pas nos traces, ne nous rattrape-t-elle pas, et ne va-t-elle pas nous attendre de l’autre côté de la colline, cachée au milieu des nuages gros de tempêtes et de l’obscurité ! Tout d’abord Gwendoline avait aimé son cousin plus que personne au monde, mais l’attrait de jeter bas l’oiseau dont le séduisant plumage avait tenté un si grand nombre de jolies chasseresses, l’avait éblouie et entraînée. Le vrai vin de la vie ce n’était pas ce composé douceâtre, écœurant, formé de feuilles de roses et de miel, qu’on appelle l’amour, mais bien ce breuvage effervescent, capiteux, nommé le succès. Voilà ce que pensait Gwendoline, et dans l’orgueil de sa magnifique conquête, il lui parut facile de renoncer à l’homme qu’elle aimait. Mais maintenant tout était bien changé. Elle regardait en arrière et pensait à ce qu’aurait pu être sa vie ; — elle considérait l’avenir et voyait ce qui l’attendait, et le visage de Némésis lui paraissait effroyable à contempler.

C’est pourquoi Gwendoline était jalouse des attentions de son cousin, impatiente de ses dédains. Ah ! si elle avait pu faire renaître la flamme dans ces tisons éteints ! elle savait que c’était tenter l’impossible. Elle consultait son miroir et voyait que sa beauté aristocratique était pâle et fanée ; elle sentait que le roman de sa vie était fini. La mer pouvait continuer à se briser à jamais sur les récifs, le charme séduisant des jours passés ne pouvait plus renaître pour elle.

— Il m’a aimée autrefois, — pensait-elle assise pendant le crépuscule, suivant des yeux son cousin se