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LA FEMME DU DOCTEUR.

vertes prairies et des collines verdoyantes qui remplaçaient un lac et une garenne. La lune s’argenta avant qu’ils eussent atteint la plate-forme, assez vaste pour contenir douze personnes. Roland les accompagna, cela va sans dire, et il s’assit sur un des larges créneaux de pierre, contemplant la nuit si calme et détachant son profil aussi nettement qu’un camée sur l’azur foncé du ciel. Il était silencieux et son silence causait des distractions à Isabel, qui faisait de vains efforts pour comprendre ce que lui disait Raymond et qui répondait à l’aventure de loin en loin. Ses réponses devinrent si distraites que Raymond cessa de parler et sembla tomber dans une rêverie aussi profonde que celle qui causait le silence de Lansdell.

Pour Isabel il y avait un charme mélancolique dans ce silence, qui s’harmonisait en quelque sorte avec le lieu et la température. Elle pouvait contempler le visage de Roland maintenant que Raymond se taisait, et elle ne s’en faisait pas faute ; elle regardait ce profil immobile qui devenait de plus en plus distinct sur le ciel éclairé par la lune. Quel charmant tableau si quelqu’un avait pu le peindre dans cette posture, assis sur le créneau et touchant d’une main distraite, que les rayons lunaires faisaient paraître d’un blanc mat, les festons du lierre qui montaient jusque-là. À quoi pensait-il ? Ses pensées couraient-elles vers quelque ville lointaine retrouver quelque Clotilde à l’œil noir, ou bien la duchesse aux cheveux noirs qui l’avait aimé et l’avait trompé, il y avait longtemps de cela, alors qu’il était un Étranger et qu’il racontait l’histoire de ses malheurs en vers émouvants et dans un style fiévreux, entrelardé de citations françaises et latines, et tour à tour désespéré et sarcastique ? Isabel croyait