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LA FEMME DU DOCTEUR

Le nom de sa mère avait toujours un charme puissant pour Roland. Sa tête si fièrement levée retomba tout à coup et il marcha quelque temps sans répondre. Raymond se taisait lui aussi. Il avait tiré quelque bon augure du changement de manière du jeune homme et se gardait de troubler le courant de ses pensées. Quand, enfin, Roland releva la tête, il se tourna et regarda son ami et son parent bien en face.

— Raymond, — dit-il, — je ne suis pas un homme vertueux (il aimait fort à faire cette déclaration et j’imagine qu’il croyait atténuer par ce procédé ses nombreux naufrages) ; je ne suis pas un sage, mais je ne suis pas un hypocrite. Je ne mentirai donc point ; je ne chercherai pas à vous tromper. Peut-être y a-t-il quelque raison pour ce que vous venez de me dire, ou mieux, y en aurait-il si j’étais un tout autre homme. Mais, dans le cas présent, je vous jure que vous vous trompez. Je n’ai pas creusé de fosse dans laquelle les pas d’une femme innocente viendront se perdre. Je n’ai pas comploté de trahison contre le pauvre diable d’honnête homme qui est là-bas. N’oubliez pas que je ne prétends pas être exempt de tout blâme. J’ai admiré Mme Gilbert comme on admire une jolie enfant, je me suis laissé amuser par son joli bavardage sentimental, je lui ai prêté des livres, et je me suis occupé d’elle, peut-être un peu plus que de raison. Mais je n’ai rien fait de parti pris. Je n’ai pas suivi un seul instant un plan préconçu, et je n’ai pas même mêlé son image avec le moindre rêve de… de… d’une forme tangible quelconque. Je me suis mis dans une position dangereuse, ou dans une position qui pourrait être dangereuse pour un autre homme, mais