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LA FEMME DU DOCTEUR.

des tableaux de l’Académie Royale. Pour lui les plus belles œuvres de l’art moderne étaient simplement de « jolies toiles » plus ou moins, selon le sujet qu’elles représentaient, et les discours de Sigismund sur le dessin, la perspective, l’expression, le ton, la couleur et le mouvement étaient un jargon parfaitement inintelligible pour lui. Aussi fut-il heureux quand la journée tira à sa fin et que Smith le conduisit dans une rue très-sombre, non loin de la Galerie Nationale.

— Maintenant je vais t’offrir un véritable dîner français, mon vieux George ! — dit Sigismund d’un air triomphant.

George regarda autour de lui d’un air mystifié. Il s’était habitué à associer dans son esprit les dîners français avec des cafés brillamment éclairés et des salons somptueux où les chaises étaient en bois doré, recouvert de velours rouge, et où une demi-douzaine de glaces immenses vous renvoyaient votre image multipliée lorsque vous preniez votre potage. Il fut quelque peu désappointé quand Sigismund s’arrêta devant une petite porte étroite, de chaque côté de laquelle se voyait un vieux vitrage montrant une rangée de flacons de vin et de liqueurs. Une grosse lanterne pendait au-dessus de la porte, et au-dessous des vitrages se voyait une grille de fer à travers laquelle s’échappait, pour parfumer l’air à la ronde, une odeur subtile d’ail et de fausse soupe à la tortue.

— Nous sommes chez Boujeot, — dit Smith. — C’est un endroit charmant ; pas de faste, comme tu vois ; mais vin excellent et cuisine de premier choix.

Les garçons de chez Boujeot étaient très-polis et fort complaisants, bien qu’ils fussent harassés par les