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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/79

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LA FEMME DU DOCTEUR

dissensions politiques, des luttes, et des émeutes de temps en temps ; mais à Graybridge, les jours s’écoulaient tranquilles et ne laissaient aucune trace qui vînt les rappeler.

Sophronia ne garda pas longtemps le souvenir de l’avocat à chevelure brune qu’elle avait rencontré chez sa tante. Autant aurait valu « aimer une étoile et songer à l’épouser, » pensait la jeune personne. Elle chassa sagement la radieuse image du jeune avocat et accueillit de nouveau Gilbert par un sourire lorsqu’elle le rencontra sortant de l’église, par une belle matinée d’hiver, et paraissant tout à son avantage dans ses vêtements de deuil. Mais George ne vit pas les sourires aimables qui l’accueillirent. Il n’était pas amoureux de Sophronia. Le temps avait réduit à une ombre fugitive l’image du pâle visage d’Isabel ; elle était presque effacée par le chagrin de la mort de son père. Mais si son cœur était vide maintenant, il ne contenait pas de place pour Mlle Burdock, bien qu’on dît tout bas dans Graybridge qu’une dot d’une centaine de mille francs accompagnerait la main de cette jeune personne. George n’avait pas des idées éthérées et sentimentales, mais il eût regardé comme aussi honorable de forcer la caisse du brasseur que de s’enrichir par un mariage avec une femme qu’il n’aimait pas.

En attendant, il vivait sa vie tranquille dans la maison où il était né, regrettant simplement, naturellement le vieux père qui s’était assis si longtemps en face de lui de l’autre côté du foyer, lisant une feuille locale à la lumière d’une bougie placée entre les caractères minuscules et ses yeux affaiblis, et laissant tomber le journal de temps en temps pour fronder