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LA FEMME DU DOCTEUR

de la ferme de son père, et ils avaient suivi la femme du médecin dans sa nouvelle maison, où Mathilda Jeffson avait assumé les fonctions de femme de charge et de servante à toutes fins, pendant que son mari soignait l’écurie et entretenait le vieux jardin, dans lequel l’élément utile prédominait de beaucoup sur celui d’agrément.

Je suis forcé de reconnaître que, en même temps qu’il possédait toutes les qualités brillantes et nobles qui font l’homme admirable, Jeffson avait un défaut. Il était paresseux. Mais sa paresse donnait à son caractère une allure si douce et si ronde, elle s’identifiait tellement avec sa bonne nature et son affabilité, que le souhaiter sans défaut eût été désirer le voir amoindri. Chez certaines gens les défauts valent mieux que des vertus chez d’autres. Jeffson était paresseux. Dans le jardin qu’il était chargé de cultiver, les limaçons allaient paisiblement leur chemin sans avoir rien à craindre de la bêche implacable ou du cruel râteau : mais, en revanche, les crapauds s’engraissaient dans les coins sombres, à l’ombre des rhubarbes à larges feuilles, et les coquilles de leurs victimes rampantes attestaient l’utilité de ces reptiles hideux et venimeux. L’harmonie de l’univers s’affirmait dans ce jardin du Midland, sans que Jeffson osât y apporter une intervention présomptueuse. Les herbes croissaient librement dans les espaces en friche laissés entre les groseilliers, les choux, et les pommes de terre, et Jeffson ne s’opposait que fort peu à leurs progrès envahissants. La place ne lui manquait pas, disait-il philosophiquement, et un sol qui ne se couvrirait pas d’herbes ne serait bon à rien. M. Gilbert récoltait plus de fruits et de légumes qu’il n’en pouvait manger