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LE SECRET DE LADY AUDLEY

— N’essayerez-vous pas de me dépouiller de l’affection de votre père ?

— Je puis ne pas être aussi aimable que vous, milady, et je puis ne pas avoir les mêmes doux sourires et les mêmes jolis mots pour tous les étrangers que je rencontre ; mais je ne suis pas capable d’une bassesse méprisable, et même le serais-je, que je vous crois si assurée de l’amour de mon père, que rien que vos propres actes pourront jamais vous en dépouiller.

— Quelle sévère personne vous êtes, Alicia, dit milady faisant une petite moue. Je suppose que vous voulez insinuer par tout cela que je suis pleine de fourberie. Comment, je ne puis m’empêcher de sourire aux gens et de leur parler gentiment. Je sais que je ne suis pas meilleure que le reste du monde, mais je ne puis remédier à cela, si je suis d’humeur enjouée, c’est dans ma nature. »

Alicia ayant ainsi complètement fermé la porte à toute intimité entre lady Audley et elle, et sir Michaël étant principalement occupé d’affaires agricoles et de sport, qui le retenaient hors de chez lui, il était peut-être assez naturel que milady, étant d’un caractère éminemment sociable, trouvât une grande ressource dans la société de sa femme de chambre aux cils blancs.

Phœbé Marks était absolument l’espèce de jeune fille qui est élevée généralement du rang de femme de chambre à celui de compagne. Elle avait juste une éducation suffisante pour lui permettre de comprendre sa maîtresse, quand Lucy voulait bien se livrer à un excès de causerie, une sorte de tarentelle intellectuelle, dans laquelle sa langue s’enivrait au bruit de son propre babil, comme le danseur espagnol au bruit de ses castagnettes. Phœbé connaissait assez la langue française pour pouvoir se plonger dans les romans à couverture jaune que milady faisait venir de Bur-