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LES OISEAUX DE PROIE

son adresse, son goût du travail, l’aideraient très-vite à faire fortune. On sut ensuite qu’il avait un frère avocat qui venait le voir souvent. Il avait, d’ailleurs, fort peu d’amis. On cita sa régularité, sa conduite, sa sobriété. Il avait trente ans environ, était célibataire et bel homme. Sa maison se composait d’une vieille femme laide et active, importée de Barlingford ; d’une fille chargée des commissions, et d’un jeune garçon qui ouvrait la porte, introduisait les clients dans le cabinet des consultations, et de plus, entre temps, faisait une besogne plus mystérieuse. On l’apercevait alors dans un petit cabinet sur la cour, limant, tripotant de la cire, du plâtre venu de Paris, des os, paraissant très-absorbé. Les habitants de Fitzgeorge Street avaient appris tout cela dans le cours des quatre années qui s’étaient écoulées depuis l’établissement du dentiste ; mais c’était tout ; ils n’avaient rien pu découvrir de plus. Sheldon n’avait fait aucune connaissance dans le quartier et n’avait même pas cherché à en faire. Ceux de ses voisins qui avaient vu l’intérieur de sa maison y étaient entrés comme patients : ils en étaient sortis aussi satisfaits de Sheldon qu’on peut l’être d’un homme qui vous a fait beaucoup de mal pour vous faire du bien. On avait toutefois vanté les bonnes manières du dentiste et son mouchoir parfumé. Du reste, Sheldon vivait très-retiré ; les voisins d’en face qui le guettaient d’un œil curieux dans les soirées d’été, pendant qu’il fumait son cigare, assis dans un fauteuil près d’une fenêtre ouverte, n’étaient pas plus renseignés sur sa pensée intime que s’il se fût agi d’un Tartare Calmouck ou d’un chef Abyssinien.