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LES OISEAUX DE PROIE

d’avoir les yeux et les favoris aussi noirs ; cela donne de la dureté à la physionomie. »

Charlotte était d’une nature très-différente de sa mère. Georgy n’avait aucun caractère, tandis qu’au contraire sa fille avait en elle je ne sais quoi de particulier. C’était une imagination sans discipline. Souvent le soir, dans sa chambre, elle se mettait à griffonner des vers pleins d’exaltation, puis, le lendemain, elle les jetait au feu. Elle était musicienne, savait dessiner, très-bien danser, mais elle faisait tout cela à sa façon. Sa Beauté elle-même s’était affranchie du joug de la règle. Mlle Halliday avait de longs yeux gris vert, tirant sur le brun, surmontés d’une touffe de sourcils noirs, épais, comme ceux des Arabes ; sa bouche était fine, petite, et souriait d’un sourire exquis ; son menton était, peut-être, un peu plus fort qu’il ne convenait, mais Phidias lui-même n’aurait pas arrondi sa jeune poitrine d’un ciseau plus hardi et plus souple que ne l’avait fait dame Nature, laquelle, du reste, ne s’en était pas tenue là. Elle avait posé la tête de Mlle Halliday sur ses épaules avec une gracieuseté qui eût désespéré de même le grand artiste susnommé ; une à une, ou prises dans leur ensemble, les grâces de Charlotte semblaient toutes avoir été produites par une série de fantaisies heureuses. Les sourcils noirs qui faisaient sa physionomie si piquante auraient pu choquer chez une autre, et je ne sais pas si les formes un peu opulentes, peut-être, de sa gorge n’auraient pas été chez une jeune fille d’un effet discutable, si elles n’avaient pas été surmontées par le visage le plus ouvert, le plus éclatant de fraîcheur juvénile qui se pût voir : il était entouré de longues boucles de cheveux noirs. Charlotte, en somme, était une de ces créatures privilégiées que les hommes adorent et que les