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LES OISEAUX DE PROIE

de s’éloigner de La Pelouse et même d’éviter l’avenue où se promenait Mlle Halliday. Il se le répéta une douzaine de fois par jour, ce qui ne l’empêcha pas de faire sa visite à La Pelouse, dès que l’ombre d’une excuse le lui permettait et des promenades dans l’avenue favorite de Charlotte. Il se sentait faible, déraisonnable, et malhonnête ; il savait qu’il semait les dents du dragon qui deviendraient autant de démons qui s’acharneraient à le poursuivre et à le tourmenter ; mais, que faire ?… les yeux de Charlotte étaient si admirablement beaux, leur charme si terrible ! Le vague espoir qu’il n’était pas tout à fait indifférent à Charlotte et une sorte de pressentiment d’un bonheur qu’il n’avait jamais connu l’encourageaient, tout en l’énervant, et lui faisaient entrevoir comme un but à son existence jusqu’alors si parfaitement vide et stérile.

Il affectait bien encore de paraître l’homme impassible et froid qu’il avait été ; mais ce n’était plus qu’une apparence. En présence de Charlotte, il devenait naïvement le plus attentif des cavaliers, malgré qu’il en eût, prenant un intérêt d’enfant aux moindres choses qui la préoccupaient. Il était comme fasciné par les illusions de l’amour qui donnaient aux jours, aux heures un aspect imprévu. Tout le monde lui paraissait avoir subi un changement extraordinaire, la terre même sur laquelle il marchait, et jusqu’aux prosaïques et tumultueuses rues de Londres. Bien qu’il les connût depuis son enfance, les jardins de Kensington, où il se promenait avec Charlotte, lui semblaient pleins de révélations nouvelles. Valentin, pour dire le mot, était éperdûment amoureux. Ce triste aventurier qui, jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, ne s’était abreuvé qu’aux sources les plus troublées de la vie, était dompté aux pieds d’une enfant.