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LES OISEAUX DE PROIE

fortune qui veut remporter la victoire dans la grande bataille de la vie doit tenir son harnais en bon état et cacher les blessures qu’il peut recevoir sous l’éclat de sa cuirasse, de ses armes, et de ses galons.

Sa tentative pour se créer une clientèle ayant échoué, l’habile Sheldon ne voyait pas d’autres chances de salut que de laisser les restes de cette mésaventure à un confrère qui les paierait plus qu’ils ne valaient. C’est dans ce but qu’il conservait intacte la blancheur de ses rideaux de mousseline, bien que le savon et l’empois fussent payés avec de l’argent emprunté à soixante pour cent. C’est également dans ce but qu’il entretenait une sorte de pratique et cette apparence d’honorabilité qui est par elle-même une sorte de capital, C’était certainement une rude besogne que de défendre la forteresse contre les assauts de la misère, mais le dentiste se comportait vaillamment, et luttait avec opiniâtreté, attendant d’un jour à l’autre la victime que le sort lui devait. Il faisait réflexion qu’il serait excellent de pouvoir dire un jour : J’ai été pendant quatre ans un des notables habitants de Bloomsbury ; et cela lui donnait du courage. Il avait tendu des filets en divers endroits pour attraper l’innocent poisson et son petit capital. Plusieurs fois, il avait cru réussir ; mais capital et poisson s’étaient contentés de rôder autour du filet sans y entrer. Du reste, il n’avait jamais parlé de céder son fonds : il attendait les propositions, les provoquait sournoisement, mais ne les faisait pas.

Chaque jour, dans les derniers temps, l’état des choses empirait ; toutes les vingt-quatre heures l’échéance des billets déjà renouvelés apparaissait terrible, implacable. Philippe se sentait tomber graduellement dans les profondeurs douloureuses, compliquées, où le démon de l’In-