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LES OISEAUX DE PROIE

Gordon, Lord Byron. Le nouvel arrivant était un de ces hommes que les toutes jeunes femmes admirent volontiers et dont se méfient les autres, celles qui savent un peu mieux ce que vaut le monde. Il y avait en lui du bohème, de l’étudiant débauché, débraillé, mais élégant. Le nœud de sa cravate était mal attaché, ses pantalons étaient trop larges, son veston de velours noir, qui sentait le Quartier-Latin à plein nez, scandalisait les irréprochables hôtes de Spa. Ce qui dominait en lui, c’était je ne sais quelle insouciance poétique et crâne tout à la fois. Il portait de belles moustaches noires, et, sous ses épais sourcils, brillait d’une pâle lueur un œil gris, mélancolique ; ses cils, très-longs, étaient soyeux.

Il se savait beau, mais il affectait de mépriser sa mâle beauté ; cependant dans l’abandon calculé de son costume, il y avait certainement de la prétention. À côté de lui, le joueur qui accompagnait la jeune fille faisait triste mine. Un abîme d’un demi-siècle séparait ce reste de beau, style Régence, et le gandin fringant du Quartier-Latin.

La jeune fille lança vers le nouvel arrivant un triste et rapide regard au moment où il s’avançait vers la table, et une légère rougeur colora ses joues lorsqu’il s’approcha d’elle. Il marcha droit vers la chaise ; il empestait le tabac ; il la salua d’un geste familier, amical et lui dit :

« Bonjour, Diana. »

Ce fut tout. La rougeur disparut ; la jeune fille pâlit ; elle reprit sa tâche avec la carte et l’épingle ; car, si dans ces quelques instants elle avait éprouvé un désappointement, c’était, sans doute, un désappointement auquel elle était habituée.