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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/86

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LES OISEAUX DE PROIE

s’aperçut combien le macadam de Bond Street était près de la plante de ses pieds, il ne put réprimer un mouvement d’admiration pour la belle contenance de ses bottes dans leur décadence même.

Il marcha dans le West End de longues et tristes heures durant la période de cette décadence. Il essaya de vivre de la façon honnête d’un gentleman en empruntant de l’argent à ses amis ou en escomptant un billet de complaisance obtenu de quelque innocent trompé par les brillantes allures et la volubilité du capitaine. Il passait ses journées dans les antichambres et les salons d’attente des clubs, dont il avait été membre autrefois ; il faisait de longues courses, laissant de petits billets pour des hommes qu’il ne trouvait pas chez eux, et qui, pendant qu’il griffonnait, retenaient leur souffle pour ne pas trahir leur présence. Ceux qui avaient été les amis les plus intimes du capitaine Paget semblaient avoir résolu simultanément de passer leur vie hors de chez eux ; c’est du moins ce qu’il parut au capitaine. Leurs domestiques étaient affligés d’une incertitude étrange et chronique, quant à leurs faits et gestes. Quelle que fût la porte à laquelle il sonnât, il semblait également douteux que le maître dût rentrer pour dîner ou qu’il dût rentrer à une heure quelconque de la journée du lendemain ou jusqu’à la fin de la semaine. Rentrerait-il même jamais ? On ne savait. Lorsque le capitaine, à la brune, ayant battu le pavé, soutenu par le faible espoir d’être admis dans une maison amie, apercevait une lueur à travers la porte de la salle à manger, entendait déboucher les bouteilles et le choc des verres et de l’argenterie, la réponse était toujours la même : « Monsieur n’est pas chez lui et ne doit pas rentrer. » Désormais, tous les gens sérieux devaient être sortis