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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/98

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LES OISEAUX DE PROIE

damnait son attachement pour un homme sans le sou. La veuve était une femme qui connaissait la vie. Elle s’obstina à ne pas découvrir les avantages que pouvait présenter une union avec un homme de cinquante ans, ruiné.

« Comment pourra-t-il te faire vivre, je serais bien curieuse de le savoir, disait Mme Kepp, pendant que la jeune fille se tenait rougissante devant elle après lui avoir raconté son histoire, puisqu’il ne peut même pas me payer régulièrement ? Et tu sais la peine que j’ai eue pour obtenir mon argent, Anna. Puisqu’il ne peut même pas se tirer d’affaire tout seul, comment fera-t-il lorsqu’il faudra vivre à deux ?

— Ne me parle pas ainsi, ma mère ! s’écria la jeune fille toute frémissante, qui ne se rendait pas aux arguments pratiques de sa mère. Tu parles comme si mon unique préoccupation de la vie était de me couvrir de chiffons et de bien me nourrir. D’ailleurs le capitaine ne sera pas toujours pauvre. Il m’a dit cela hier au soir quand…

— Il t’a dit cela, répéta l’honnête veuve avec une moue dédaigneuse. Est-ce qu’il ne m’a pas raconté bien souvent que j’aurais mes loyers régulièrement après cette semaine, puis après une autre, et ai-je jamais été payée régulièrement, je te le demande ? Et maintenant, est-ce que je ne le garde pas par pure charité ? Une pauvre femme veuve comme moi qui pourrait bien avant peu avoir besoin de charité elle-même… Et si cela n’avait pas été pour tes pleurnicheries, il y a trois semaines qu’il serait dehors, quand le médecin a déclaré qu’il était assez bien pour qu’on le changeât de place, car tu sais que je ne l’aime pas, cet homme !…

— Et tu l’aurais mis dehors, mère, pour l’exposer à