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LE CORRECTEUR MODERNE
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« En plein rêve de jeunesse, alors que son esprit et son cœur débordaient des plus nobles ambitions, André Lemoyne[1], au milieu des événements de 1848, vit disparaître toute la fortune paternelle dans une catastrophe imprévue. Jeune et instruit, il eût pu se tourner vers la politique ou le journalisme, où, grâce à son talent d’avocat et à l’ardeur de ses convictions, il se fût taillé une brillante situation. André Lemoyne préféra devenir un simple artisan et ne devoir qu’au travail de ses mains le pain et la sécurité de ses jours : stoïquement, sans amertume, ni regret, il s’enrôla dans la phalange des travailleurs du Livre. Entré comme apprenti typographe dans l’imprimerie Firmin-Didot, André Lemoyne, que ses connaissances étendues et variées désignaient à l’attention de ses chefs, devint bientôt correcteur. Son érudition et son caractère lui conquirent, dans ce poste, des amitiés solides et l’estime d’auteurs illustres qui jugeaient à sa valeur la précieuse collaboration de ce travailleur discret. C’est dans ces fonctions que Lemoyne vit un jour, pour la première fois, la gloire venir vers lui : un académicien, M. de Pongerville, « en habit bleu à boutons d’or, pantalon gris perle à sous-pieds, chapeau blanc à longues soies », venait, au nom de l’Académie française, apporter ses félicitations et serrer la main au modeste correcteur qui se révélait un poète de premier ordre. »

André Lemoyne fut en effet un vrai poète : « dans la pratique de son métier de correcteur il avait découvert toutes les nuances, toutes les somptuosités du « verbe » ; nourri aux meilleures sources classiques, il avait sucé jusqu’à la moelle l’os savoureux de notre vieille littérature ; il en connaissait l’harmonieuse beauté et les ressources infinies ; il en comprenait la souplesse et la logique ; il l’aimait avec un respect, avec une admiration sincères. S’il concédait parfois qu’il est des diffi-

  1. André Lemoyne naquit à Saint-Jean-d’Angély le 22 novembre 1822. Son père était banquier. En 1847, après avoir suivi les cours de l’École de Droit, Lemoyne s’était fait inscrire au barreau de Paris comme avocat. Lorsque survinrent les événements de 1848, il entra à l’imprimerie Didot où, après son apprentissage, il fut quelque temps ouvrier, puis correcteur, et, enfin, en raison de son état de santé, employé à la publicité. En 1877, il devint bibliothécaire archiviste à l’École des Arts décoratifs, où il resta jusqu’à l’année 1906. Il mourut le 28 février 1907 en sa ville natale, qui a donné son nom à une place publique. Ses amis, ses admirateurs lui ont élevé, par une souscription publique à laquelle la Société amicale des Protes et Correcteurs d’imprimerie de France a pris très largement part, un modeste monument qui fut inauguré le 31 octobre 1909, au Jardin public de Saint-Jean-d’Angély. Il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1870.