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LE CORRECTEUR TYPOGRAPHE

Nous n’avons vu nulle part qu’en France les « officiers » de la Communauté des Libraires et Imprimeurs aient été chargés de s’assurer, au cours des visites qu’ils devaient effectuer dans les imprimeries, des capacités techniques ou littéraires des correcteurs qui y étaient employés. Mais nous croyons pouvoir affirmer que les compagnons typographes dont le tempérament frondeur était redouté, et dont l’indiscipline donna maintes fois sujet d’inquiétude au Pouvoir royal, n’auraient point supporté la présence à leurs côtés d’un correcteur insuffisant ou même médiocre ; dans les circonstances où la besogne de la correction incombait au prote, ces mêmes compagnons n’auraient pas accepté les ordres d’un confrère de connaissances inférieures aux leurs, eux qui se rebellaient si volontiers contre l’autorité des maîtres, lorsque cette autorité leur semblait outrepasser les usages anciens ou empiéter sur leurs prérogatives.

Brullé, ce prote de l’imprimerie Le Breton qui fut le collaborateur de l’Encyclopédie, jugeait certes également qu’aucun correcteur ne saurait être inférieur à ses compagnons de travail, lorsqu’il écrivait : « Pour ce qui regarde la composition, le prote[1] doit savoir sa langue et être instruit dans les langues latine et grecque ; posséder à fond l’orthographe et la ponctuation ; connaître et savoir exécuter la partie du compositeur pour lui indiquer en quoi il a manqué et le moyen le plus convenable pour réparer ses fautes… Pour la lecture des épreuves,

  1. Il ne faut pas attribuer ici au mot prote le sens que lui donnent de nos jours nos grands ateliers modernes, dans lesquels un travail tout autre que celui de la correction sollicite l’attention et constitue la besogne normale du prote. À l’époque de Brullé la correction était encore l’une des attributions les plus absorbantes et les plus importantes du prote : c’est donc exclusivement sous cet aspect de correcteur que nous envisageons dans ces lignes celui qui se dit aujourd’hui l’alter ego du patron, et qui n’était autrefois que « le premier des ouvriers ». — Voici, d’ailleurs, les termes mêmes de Brullé : « Le prote doit lire sur la copie toutes les premières épreuves, les faire corriger par les compositeurs, et envoyer les secondes à l’auteur ou au correcteur ; ensuite il doit avoir soin de faire redemander ces secondes épreuves, les revoir, les faire corriger et en donner les formes aux imprimeurs. » (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, au mot Prote, t. XXVII, p. 667.) — On remarquera que la lecture en secondes est réservée, d’après Brullé, à un correcteur qui ne parait pas être attaché à l’imprimerie.

    Momoro, sur ce dernier point, ne partage pas l’opinion de Brullé : « Le correcteur… est une personne… particulièrement chargée de corriger les épreuves en premières, quelquefois en secondes. Cette fonction regarde le prote ; mais dans les imprimeries où il y a un correcteur particulier, c’est au prote à lire les secondes épreuves. »