Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nière d’écrire correctement selon l’usage ou, plutôt, selon les usages établis. » Mais il a compté sans l’écrivain : celui-ci, « quelquefois professeur et docteur ès choses variées ou se donnant pour tel, rétablit avec ferveur ses anciennes fautes d’écolier qu’il s’est assimilées : elles font partie de sa chair et de ses os ; il a des solécismes chroniques et des barbarismes invétérés, à lui, bien personnels. Il rétablit donc son texte en maudissant les correcteurs sacrilèges ; il réintègre chrôme, il remet deux t à papillotte et à échalotte. En revanche, il n’en met qu’un à carote qu’il écrit avec deux r comme carrosse, donc carrote. Chaque fois qu’il cite Chateaubriand, il lui envoie un â sur son Château ; dame, on est rationnel. En procédant à ce beau travail, le brave homme maugrée entre ses dents : « Cristi, sont-ils bêtes dans cette imprimerie !… Je rencontre à chaque page trafiquant, fabricant. C’est pourtant bien simple : trafic donne traficant ; fabrique donne fabriquant ! Je lui ferai compliment de son correcteur, au patron !… » — « L’auteur peut avoir beaucoup de mérite, mais il a le très grand tort de se fier à sa mémoire qui le trompe et au vulgaire bon sens qui dans ces matières n’a pas grand’chose à voir. Aussi combien et combien de coquilles trouve-t-il sous son bonnet ! Il les marque largement, de son encre la plus noire, avec l’indignation profonde de M. Prud’homme qui trouve des taches inconnues sur sa serviette. Et il corrige toujours ! Il restaure sa marche, celle que vous connaissez : limaçon, Escargot, — carpe, Baleine, — lieutenant, Général. Tout cela compte pour des fautes.

« Le patron, qui, entre deux bouffées de cigarette, jettera un coup d’œil distrait sur les bons, se dira en aparté : « Mes correcteurs laissent décidément à désirer ; à la première occasion j’en balayerai quelques-uns[1]. »

À notre avis, et quoi qu’on pense ailleurs, le correcteur n’a point à se froisser d’une telle correction : il sait qu’après avoir écouté respectueusement les observations d’un chef toujours plus enclin à la sévérité qu’à l’indulgence il lui suffira de quelques secondes de conversation avec le prote pour remettre toutes choses au point.

Nous ne pouvons supposer, d’ailleurs, qu’un directeur ne puisse faire la part de chacun. Les illusions d’un auteur sont aisées à démas-

  1. Circulaire des Protes (article signé « Un Vieux Pupitre »).