Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/244

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travail, car il y a longtemps que ce sujet me préoccupe. J’annonçais en effet, il y a bientôt trente ans, dans ma Préface des Procès-Verbaux des États généraux de 1539 (vol. in-4o de la collection des Documents inédits relatifs à l’histoire de France) un livre sur « l’histoire de l’orthographe française depuis l’invention de l’imprimerie ».

« Je me félicite aujourd’hui d’avoir été détourné par d’autres occupations de la réalisation de ce projet ; car votre nouveau travail aurait probablement rendu mes peines inutiles. Personne ne pouvait aborder ce sujet avec plus d’autorité que vous, qui réunissez à l’érudition d’un académicien toutes les connaissances du typographe.

« Au reste, c’est chez vous-même, et en travaillant au Dictionnaire de l’Académie de 1835, dont j’étais la cheville ouvrière, que cette idée m’était venue. J’avais été souvent choqué des irrégularités qui se glissaient dans ce livre, faute d’un praticien pour les relever, et, si je n’avais pas été si jeune alors, j’aurais peut-être hasardé quelques observations ; mais, n’osant pas le faire, je me mis dès lors à étudier les progrès de l’orthographe depuis le commencement du xvie siècle, progrès opérés par les imprimeurs qui ont plus fait, pour cela, à mon avis, que les grammairiens et les académiciens ensemble. Et cela se conçoit facilement. Avant les travaux de l’Académie, l’orthographe était incertaine : l’écrivain ne s’inquiétait pas, en poursuivant sa pensée, de la forme plus ou moins régulière des mots qu’il employait, pourvu qu’ils fussent compris. Mais le compositeur, ou pour mieux dire le correcteur, est obligé d’adopter un système. Il ne pourrait laisser passer dans un livre soumis à son contrôle un mot écrit de cinq manières différentes, comme cela se voit dans le Livre des Métiers[1] d’Estienne Boileau, que vous citez page 295. Il faut qu’il adopte l’un ou l’autre. Or, avant d’adopter, il compare, il raisonne ; de là, la régularisation et l’amélioration de l’orthographe.

« Voilà ce que fait le correcteur… »

« Les imprimeurs ont plus fait, pour les progrès de l’orthographe, depuis le commencement du xvie siècle, que les grammairiens et les académiciens ensemble. » L’affirmation peut paraître osée à première vue ; elle est cependant amplement justifiée par les faits.

  1. Auguste Bernard écrit : « des matières » (!). — Ne serait-ce point plutôt le correcteur qui par inadvertance aurait… mal lu ?