Eh bien ! n’en déplaise à cet « Esprit chagrin », nombre de bons esprits — nous nous abstiendrons de dire beaux esprits — ne sont point du même avis : la Linotype, non plus que les autres machines, « n’a point réduit la correction à sa plus simple expression ». Le meilleur « pianiste » de l’univers, même doué de la plus merveilleuse intelligence, même à l’abri de toute distraction, commettra des coquilles : elles sont imputables à lui-même : fautes de lecture, erreurs de touche ; elles sont imputables aussi à l’auteur : orthographe, grammaire, mémoire ; elles sont imputables enfin à la machine : fonctionnement défectueux, mauvais état d’entretien. Sans doute, la machine supprime une des multiples causes de coquilles, la distribution ; mais il faut reconnaître que trop souvent la coquille-distribution est remplacée par la coquille-erreur de touche. D’ailleurs, la plus ou moins bonne composition produite par la machine n’est point fonction de la qualité et de la perfection de cette machine elle-même, mais simplement de l’habileté et des capacités du linotypiste. L’expérience a été faite à maintes reprises, soit lors d’essais comparatifs des divers systèmes mécaniques, soit dans des concours entre opérateurs, soit enfin par les imprimeurs eux-mêmes : la coquille existe, elle restera quoi qu’on fasse.
Bien mieux même, la machine à lignes-blocs a donné naissance à un genre de coquilles[1] tout particulier, dont les inconvénients sont certes bien plus considérables que ceux de la coquille manuelle.
« Depuis l’introduction de la machine à composer, on rencontre des lignes répétant deux et même trois fois les mêmes mots ; puis, un peu plus loin, par compensation, on se trouve au bout d’une phrase inachevée, pour continuer par une autre qui n’a pas de commencement… » On arrive ainsi à des quiproquos funambulesques : « Une ligne, primitivement composée pour reproduire une phrase d’un discours de M. Fallières, par exemple, se retrouve intercalée dans les aveux de l’assassin du jour !
« En voulez-vous un autre exemple ? Le journal l’Intransigeant
- ↑ Le terme coquille est employé ici dans un sens général, englobant tous les genres d’erreurs que peut comporter la composition.
trop souvent le linotypiste entend se borner à exécuter les « corrections essentielles », c’est-à-dire indispensables, cette théorie peut à l’extrême rigueur être timidement soutenue ; mais nous pensons que la lecture des labeurs ne saurait comporter un tel dédain des rectifications indiquées, surtout de celles de… l’auteur.