Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/494

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appel, combien sont aptes à juger réellement, d’après l’aspect d’une épreuve, des qualités ou des défauts d’un correcteur, de ses capacités ou de son insuffisance ?

D’abord, quelle valeur technique — et nous pourrions ajouter : littéraire, le mot ne serait parfois pas trop osé — peut-on attribuer aux corrections portées sur une épreuve d’auteur ?

1o Certains clients croient qu’ils n’ont nullement à intervenir pour la bonne exécution du travail. Ils s’imaginent qu’un livre doit se faire aisément, aussi parfaitement qu’un meuble entre les mains d’un ébéniste. Ceux-là possèdent parfaitement leur sujet ; ils n’éprouvent aucune hésitation. Pour eux une épreuve suffit : ils y jettent un coup d’œil rapide, superficiel ; ils ne rencontrent d’ailleurs pas de corrections, à peine quelques rectifications de peu d’importance : ils rétablissent une lacune toute fortuite ; d’une écriture indéchiffrable, ils précisent un passage qui leur paraît légèrement obscur ; et, pleins de confiance en eux-mêmes, retournent à l’imprimeur un travail incorrect et incomplet en un bon à tirer dont la blancheur presque immaculée des épreuves séduit au premier coup d’œil.

Mais le correcteur en secondes est là : au cours de sa lecture, il remarque l’absence d’un mot, à cet endroit ; à tel autre, l’expression est impropre et frise le non-sens ; plus loin, l’orthographe se différencie de celle rencontrée antérieurement ; ici la correction est illisible, là elle est incomplète. Soucieux de dégager sa responsabilité, le correcteur appelle de manière spéciale l’attention du prote sur ces erreurs grossières ; et, comme « la correction doit être très soignée, parce que le client est exigeant », force est de retourner à l’auteur une épreuve aussi défectueuse. Alors le client « exigeant » s’impatiente : « le travail n’avance pas, il n’est pas soigné ». De son côté, le patron dont l’attention est mise en éveil par les doléances de l’auteur constate qu’avec les corrections nouvelles le devis-forfait sera dépassé : « le volume coûtera très cher », suivant une expression de fortune. Un responsable est nécessaire. Ce ne sera ni le prote, ni le compositeur, encore moins, vous le pensez bien, l’auteur ; mais, tout simplement, le… correcteur.

Cependant, que le client soit victime de son manque de soins, n’est-il rien de plus juste et de plus mérité ? Pourquoi s’attaquer au correcteur ? Par négligence, l’auteur a laissé dans son manuscrit