Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/496

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pages de part en part ; des lettres mauvaises, des lignes grises par manque de touche ou pour toute autre cause, des pages légèrement de travers, des épreuves irrégulièrement pliées sont l’objet de remarques spéciales ; et de larges traits rouges, parfois rouges et bleus, sont, au milieu de la broderie, comme les poutres qui frapperont surtout les regards du patron ».

Ces auteurs qui, sur le dos d’un employé, avec un rare sang-froid, plaident « non coupable » et cependant réclament l’absolution ne sont point un mythe. Ces solliciteurs d’un rabais sur la « douloureuse » des corrections d’auteur n’ont sans doute qu’un désir : sauvegarder le contenu de leur porte-monnaie ; mais le résultat est parfois de tout autre ordre : pressé par le temps, talonné par un visiteur que l’attente impatiente, le directeur ou le patron jette à peine un coup d’œil sur les épreuves que le client a tournées devant lui au cours d’une conversation gênante : il juge utile de régler cette affaire séance tenante, sans enquête sur l’état du manuscrit, sans examen des corrections, sans discussion. L’accusé comparaît :

« — Je vous dis que vous ne connaissez pas votre métier. En voici la preuve. C’est déplorable ! C’est pour la Maison une perte énorme dont je vous rendrai responsable à l’avenir. Mais si ça continue… Ça ne pourra plus continuer… »

La tête basse, sans avoir pu articuler le moindre mot, le correcteur regagne son « coin »… Après tout, il en a entendu tant d’autres :

Infandum, regina, jubes renovare dolorem… ;


sa conscience, tranquille, lui conseille le calme et l’oubli… D’ailleurs, la besogne est là !

Un auteur demande des épreuves pour y apporter les modifications ou les additions qu’il juge nécessaires : c’est son droit ; il peut faire autant de corrections que le texte l’exige : la chose est incontestable. Mais il n’est nul besoin, dans ces circonstances, de désobliger le correcteur. Serait-ce donc, de la part d’un auteur, quel qu’il soit, faire un accroc à sa dignité de reconnaître que les changements apportés au texte sont de son fait… ou même plus simplement de se taire ? Quelle raison majeure peut alors obliger un client à causer un préjudice matériel ou moral à un employé, lorsque celui-ci n’a rien à se reprocher ?