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LES CORRECTEURS EN PROVINCE
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ou Aldino, ils eurent, de même que le format des ouvrages auxquels ils étaient destinés, une vogue considérable ; mais, par deux privilèges, l’un du Sénat de Venise en date du 13 novembre 1502, l’autre du pape Alexandre IV du 17 décembre de la même année, Alde s’en assura l’emploi exclusif. Aussi, en Italie, quelques imprimeurs seulement, parmi lesquels, en 1503, Philippo de Giunta, de Florence, se risquèrent à courir les chances de la contrefaçon. En France, loin des foudres de la justice vénitienne, Balthazard de Gabiano, installé comme libraire à Lyon depuis 1493 et renseigné par Jean Barthélémy de Gabiano, de Venise, reproduisait avant la fin de 1502 les éditions aldines de Virgile, Horace, Juvénal et Perse, Martial, Lucain. Ces premières contrefaçons lyonnaises sont fort inférieures aux éditions aldines pour la correction du texte ; par contre, l’italique de Gabiano, plus nourri que celui d’Alde, lui est supérieur et se lit beaucoup plus facilement. Le texte d’Alde Manuce est reproduit page pour page par Gabiano ; la marque et la suscription de l’imprimeur vénitien sont supprimées, et aucune indication ne figure sur les contrefaçons lyonnaises ; en 1510, toutefois, certaines de ces dernières comportent une fleur de lys florentine imprimée en rouge.

« Dans son Monitoire du 16 mars 1503, Alde se plaint amèrement des contrefaçons dont on lui a signalé l’existence, mais dont il paraît ignorer encore les auteurs. Ces éditions véritablement frauduleuses, remplies de fautes et mal imprimées, nuisent à sa réputation et à ses intérêts, car on s’efforce de les lui attribuer, mais elles ne sont nullement siennes, dit-il : Ad hæc hisce : quæ inibi visuntur : incorrectionibus : non esse meos, facile est cognoscere ; puis, relevant les erreurs les plus grossières commises par les correcteurs de Gabiano, Alde indique avec minutie le moyen de distinguer les ouvrages édités à Lyon de ceux imprimés à Venise.

« Les plaintes d’Alde n’étaient que trop justifiées. Cherchant le bon marché et la rapidité de production, les Gabiano et les imprimeurs à leurs gages produisirent, tout d’abord, des œuvres en général médiocres, tant au point de vue du texte que de l’impression. Mais, prenant à cœur les reproches mérités d’Alde, ils donnèrent aussitôt une nouvelle édition des ouvrages aldins bien supérieure à la première ; puis, par la suite, ils s’efforcèrent de ne plus donner prise à semblables remarques. C’est ainsi que, au cours des années ultérieures,