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CHAPITRE PREMIER.

si elle signifiait « qui ne se détourne pas de l’excellent et suprême état de Bôdhi ; » et comme cet état est le but d’un Bôdhisattva, la traduction que j’ai adoptée pour le terme un peu vague d’avâivartika n’est qu’une autre expression du sens donné par le tibétain. Mais il n’en est pas moins évident, d’un autre côté, que pour trouver dans le mot avâivartika « l’excellent et suprême état de Bôdhi, » l’interprète tibétain a dû y joindre les mots de l’original sanscrit yadutânuṭṭarâyâm̃ samyaksam̃bôdhâu ; et ce qui le prouve, c’est que l’adjectif anuttarâyâm est représenté par le tibétain bla-na-med-pa. Or, pour opérer cette réunion des mots avâivartikâiḥ et yaduta, etc., il a fallu ou déplacer, ou même passer le terme suivant êkadjâtipratibaddhaiḥ, que j’examinerai tout à l’heure. Et c’est justement ce qui a lieu dans la traduction tibétaine, telle du moins que nous la possédons à Paris ; le terme êkadjâtipratibaddhaiḥ y est omis. Traduisant sur le sanscrit, j’ai dû le conserver ; mais je crains d’en avoir altéré le sens au profit de l’expression qui vient après : « c’est-à-dire l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. » En effet, j’ai interprété djâti comme s’il signifiait genre, espèce, et par extension objet, pour pouvoir faire de cet objet « l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. » Je ne crois plus maintenant que cette extension du sens de djâti soit possible, et l’interprétant par naissance, je rends conséquemment le terme qui nous occupe par « tous enchaînés à une seule naissance ; » comme l’a fait justement M. Foucaux dans des passages du Lalita vistara, qui ne présentent aucun doute[1]. Mais pour que le rapport de cette expression avec celle qui suit soit intelligible en français, il sera nécessaire d’ajouter quelques mots, qui sont virtuellement contenus dans le sens, et dire : « tous enchaînés à une seule naissance, c’est-à-dire [à celle qui doit conduire] à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. » Cette interprétation est conforme à la théorie buddhique, selon laquelle un Bôdhisattva n’a plus qu’une existence à parcourir, celle où il doit atteindre à la dignité de Buddha parfaitement accompli.

f. 2 b. Affermis dans la grande puissance.] Le terme de pratibhâna auquel j’attribuais le sens de puissance, en le déduisant de celui d’audace que Wilson lui assigne, ne doit pas être la signification véritable. Mais on peut hésiter encore entre les deux interprétations d’intelligence et de confiance. Ainsi les Buddhistes du Sud s’accordent avec les autorités classiques parmi les Brâhmanes, pour donner à paṭibhâna le sens d’intelligence, de compréhension, de sagesse[2]. Le terme de pratibhâ a aussi en sanscrit la même valeur, au moins d’après Hêmatchandra[3] ; mais pratibhâyukta dans l’Amarakôcha, comme paṭibhâyutta dans l’Abhidhâna ppadîpikâ, signifient « plein de hardiesse, de confiance[4]. » Toutefois, comme nous avons ici pratibhâna et non pratibhâ, il est encore plus sûr de traduire « affermis dans la grande intelligence, ou dans la grande sagesse. »

Faisant tourner la roue de la loi.] C’est-à-dire, prêchant la loi afin d’établir son empire. Cette expression si fréquemment employée dans les textes buddhiques de toutes les écoles,

  1. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 3, 67, 58 et pass.
  2. Abhidhân. ppadîp. l. I, ch. ii, sect. v, st. 9, et l. III, ch. iii, st. 194.
  3. Abhidhâna tchintâmaṇi, st. 309, p. 53, éd. Bœhtl. et Rieu.
  4. Abhidhân. ppadîp. l. III, ch. i, st. 41.