Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/145

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elle s’abandonnait à une sorte de hasard d’inspiration qui amenait les grandes luttes, mais qu’elle gouvernait bien peu, disait-elle, au point d’ignorer d’avance comment ces batailles de la vie se termineraient et comment le roman se dénouerait. C’était véritablement le triomphe de ce qu’on a nommé plus tard l’inconscient dans le talent ou dans le génie. Je ne puis, en effet, mieux exprimer ce singulier phénomène dont elle donnait le spectacle étonnant dans sa méthode de travail, qu’en disant que c’était un phénomène d’inconscience superbe, mais bien peu sûre dans le résultat. Rien de calculé, en apparence, rien de prémédité ; pas même les grandes lignes arrêtées ; tout procédait dans son art comme dans la vie. Quand une rencontre dramatique a lieu, quand une grande aventure commence, qui peut dire, dans le train de l’existence, ce qui devra arriver le lendemain ? Il en était de même dans le domaine de son imagination. Elle ne savait pas la veille ce qui arriverait de ses héros ou à ses héros. Elle les livrait à la fatalité de son art, comme la vie les livre à la fatalité des événements. De là ce contraste saillant dans ses œuvres : l’entrain, la fougue, les merveilleux préludes, le commencement enchanteur de presque toutes ses fictions, des plus belles. Puis, à un certain moment, il se produit une sorte de fatigue : la richesse des développements devient de la prolixité, le récit se traîne en méandres inutiles ; le style aussi se lasse et se néglige. Et cependant il faut bien finir. On finit, mais c’est une fin de raison, non d’inspiration.