Page:Caro - George Sand, 1887.djvu/195

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tout seul, livré à lui-même, se dévore et se consume. « Vous avez les instincts et les goûts de l’art, dit-elle à l’un des favoris de sa critique ; mais vous pouvez constater à chaque instant que l’artiste purement artiste est impuissant, c’est-à-dire médiocre ou excessif, c’est-à-dire fou… Vous croyez pouvoir produire sans avoir amassé… Vous croyez qu’on s’en tire avec de la réflexion et des conseils. Non, on ne s’en tire pas. Il faut avoir vécu et cherché. Il faut avoir digéré beaucoup ; aimé, souffert, attendu, et en piochant toujours. Enfin, il faut savoir l’escrime à fond avant de se servir de l’épée. Voulez-vous faire comme tous ces gamins de lettres qui se croient des gaillards parce qu’ils impriment des platitudes et des billevesées ? Fuyez-les comme la peste, ils sont les vibrions de la littérature[1]. » C’est là, on en conviendra, une mâle et fière rhétorique qui vaut toutes

  1. À côté de ces conseils, nous voudrions en placer d’autres, empruntés à des lettres inédites au comte d’A…, dont la belle-fille est devenue plus tard un de nos meilleurs romanciers. Mme Sand voulait qu’avant tout on respectât l’originalité de chaque esprit qui entre dans la carrière des lettres : « Vous savez, disait-elle, que je suis toute à votre service. Mais, croyez-moi, ne soumettez à aucune consultation, pas même à la mienne, le talent et l’avenir de votre jeune écrivain. Laissez-la se risquer et se produire dans sa spontanéité. Je sais par expérience que les avis les plus sincères peuvent retarder l’élan et faire dévier l’individualité… Elle sait écrire, elle apprécie bien, elle est très capable de faire de la bonne critique. Quant à l’imagination, si elle n’en a pas, aucun conseil ne lui en donnera, et si elle en a, les conseils risquent de lui en ôter. Dites-lui que tant que j’ai consulté les autres, je n’ai pas eu d’inspiration, et que j’en ai eu le jour où j’ai risqué d’aller seule. » (6 août 1860.)