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Les Albigeois, longue tétralogie en vers contre Simon de Montfort. Trois ou quatre ans après, une jeune parente leur lut des strophes de Mireio, toute fraîche parue, et il éprouva comme un vertige à la sonorité provençale de ces vers. Mistral, ainsi révélé, l’anima d’une nostalgie des pays ancestraux « On trouverait constatée cette première prise de possession félibresque, écrira-t-il plus tard, dans un volume, publié alors, volume de vers naturellement, déjà tout envahi du midi en la personne de la révélatrice qui reste, au fond de cet éloignement, comme une vision et une clarté d’aube dont la lueur a flotté sur ma vie entière. » Ce premier recueil de vers : Les Chants de l’Aube, composé de seize à dix-huit ans, parut en 1862.

L’année suivante, Louis-Xavier de Ricard fonda au Quartier-Latin, avec quelques amis, La Revue du Progrès, publication mensuelle. Toutes ses idées s’y retrouvent, au moins en germe, même ses idées féministes, dans un roman intitulé : L’Œuvre de trois femmes. Le programme défendait la liberté individuelle et l’universelle solidarité. Rattachés à Michelet, Quinet, Proudhon, et aux libertaires du temps, les rédacteurs — dont Paul Verlaine, qui, pour ses débuts, espagnolisait là sous le nom de Pablo — firent de la revue un rendez-vous des jeunes républicains, socialistes, positivistes et scientifiques. Ce fut une des premières protestations de la jeunesse contre l’empire. Le directeur n’ayant que vingt ans, Adolphe Racot endossa la gérance. D’anciens libéraux, Émile et surtout Antony Deschamps, furent avec eux, qui entretinrent aussi des rapports avec les exilés, Hugo, Quinet. Or, Dupanloup, évêque d’Orléans, lança une brochure : l’Athéisme et le péril social, pleine de citations tirées de la Revue du Progrès ; des journaux et revues catholiques les dénoncèrent au pouvoir impérial, qui poursuivit. La revue fut saisie ; Ricard, Racot et deux autres, comparurent devant la sixième chambre correctionnelle ; ils étaient défendus par Clément Laurier, secrétaire de Crémieux, et par Gambetta, qui commençait à se faire connaître. Ces jeunes avocats, obtenus par l’entremise d’Alexandre Massol, vénérable d’une loge maçonnique, firent, naturellement, des plaidoiries contre l’Empire ; on en retrouverait une impression dans un article d’Henri Brisson au Temps. Un des accusés fut relaxé, un autre eut quinze jours de prison, Racot un mois, et Ricard trois mois avec douze cents francs d’amende. C’est le 23 octobre 1864 que le fondateur de la Revue du Progrès, disparue au dixième numéro, alla loger à la prison de Sainte-Pélagie ; il y écrivit ce sonnet le jour même :

Première soirée en prison


Je suis seul. — La prison m’entoure, triste et nue :
Les verrous de la porte ont grincé. — Je suis seul,
Le silence et la nuit ont cousu mon linceul,
Et, lentement, je bois une mort inconnue.

Toi, que fais-tu là-las ? — Toujours je pense à toi.
Puis, si quelque fraîcheur de la nuit irisée,
À travers les barreaux, arrive jusqu’à moi,
Dans ses parfums lointains j’aspire ta pensée.