Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/127

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APPENDICE.


EXTRAIT
DU GRAND DICTIONNAIRE DES PRÉCIEUSES,
ARTICLE ÉMILIE[1].

Émilie et Léosthène sont deux des plus illustres précieuses dont j’aye encore parlé ; je les joins dans cette histoire, qui leur est commune, et que je ne mets ici que pour faire voir que ce n’est pas une fable de dire qu’il y a des précieuses. En effet, il est bien aisé de juger qu’elles le sont autant que l’on peut l’être par ce qui suit :

Un jour Félix, qui les voit souvent, étant chez Émilie, où Léosthène se trouva, et voyant qu’elle lui parloit d’une façon extraordinaire, il se mit à les railler dessus leur langage comme il avoit coutume. Elles se défendirent d’autant mieux qu’elles ont beaucoup d’esprit, et de celui qui est vif et propre à soutenir la conversation. La dispute fut si loin qu’il fut dit que le lendemain elles se défendroient par l’exemple des auteurs qui parloient aussi extraordinairement qu’elles, et qu’il n’auroit qu’a les attaquer de même. Félix y consentit, et les quitta là-dessus, parce qu’il se faisoit tard. Nos deux précieuses demeurèrent aussi embarrassées que vous pouvez vous l’imaginer ; néanmoins il fallut faire de nécessité vertu, et à ce dessein, elles résolurent de coucher cette nuit ensemble afin de lire quelque livre pour en tirer de quoi se défendre et justifier leur langage. Le Criminel innocent, qui est le dernier ouvrage de Cléocrite l’aîné[2], fut le livre qu’elles choisirent pour cet effet, à cause de sa nouveauté et de la grande réputation de son auteur. Elles le furent et en tirèrent les remarques que vous

  1. Voyez ci-dessus, p. 111 et 112.
  2. Pierre Corneille. Le Criminel innocent est l’Œdipe. Voyez ci-dessus, p. 111.