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II
PRÉFACE

Or le point de vue dogmatique, en matière littéraire, consiste à confronter les écrits avec un idéal antérieur et supérieur, avec un code littéraire, par exemple, ou avec un autre ouvrage érigé en type. Le point de vue historique consiste au contraire à n’apporter dans cette étude aucun idéal à priori, aucune hâte de condamner ou d’absoudre, aucune tendance au panégyrique ou au réquisitoire, mais un esprit libre, curieux de toute vérité, avide de comprendre encore plus que de juger, et bien pénétré de tout ce que signifie ce mot comprendre, quand on l’applique à l’infinie complexité soit de la vie soit de l’art. Comprendre un texte, ce n’est pas seulement entendre le sens extérieur et superficiel des mots et voir en gros de quoi il s’agit : c’est discerner, dans leur finesse propre et distincte, tous les traits qui déterminent sa physionomie et qui font que deux œuvres à première vue assez semblables sont en réalité fort différentes ; c’est rattacher ces traits délicats aux causes qui les ont produits ; c’est reconnaître dans chacun d’eux l’héritage de la race, le caractère du temps, les convenances du genre, les lois naturelles de l’évolution technique, la marque personnelle de l’écrivain. Toute œuvre vivante tient par mille liens à ce qui l’environne. Une phrase d’un orateur, un vers d’un poète ressemblent à ces monades de Leibnitz où le monde entier se réfléchit ; ce sont des monades littéraires qui concentrent en elles mille images ; chacune d’elles, à la bien regarder, reflète tout le passé d’une