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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/405

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LE RECIT 355

outre que cela est exceptionnel dans V Odyssée^ il faut reconnaître que là même les caractères nouveaux du récit épique apparaissent. Si importante que soit par elle-même la description de la mer déchaînée, il y a quelque chose dans ce morceau qui attire davan- tage l'attention, c'est la fine et curieuse analyse de ce qui se passe dans le cœur d'Ulysse. Nulle part dans Vlliade on ne trouverait une succession de sentiments aussi exactement déduite que celle qui remplit ces deux cents vers. Et il ne s'agit pas seu- lement des émotions principales, abattement, retour d'énergie, défiance,- obstination, efforts héroïques, prières, élan de joie; dans chacune de ces phases, que de moments divers à distinguer! comme le poète se plaît à cette analyse toujours juste, où il excelle! Suivez-le pas à pas ; voyez-le créer ingénieusement des circonstances; point de minuties assurément, mais que de finesse déjà dans cette peinture si large encore!

Si cela est vrai de cette grande scène de la tem- pête, combien plus encore du massacre des préten- dants ! Ici, la différence avec Vlliade est d'autant plus frappante, qu'il y a plus d'analogie dans le sujet. Rappelons-nous les batailles épiques qui ont été précédemment étudiées. Ne semblait-il pas qu'en dehors même des passions personnelles des com- battants, chacune d'elles eut sa vie propre? Les di- verses heures du jour, les accidents du combat, sur- tout l'intervention des dieux, produisaient tour à tour dans le développement de la lutte des varia- tions dramatiques. Derrière les rencontres indivi- duelles, quelque chose d'immense apparaissait, la bataille elle-même, avec ses redoublements de fu- reur et ses alternatives de succès. Rien de semblable dans la scène du massacre. La force de la concep-

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