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384 CHAPITRE VIL — L'ART DANS L'ODYSSÉE

les représenter unis. Les aèdes étaient naturellement à cet égard les interprètes du sentiment public.

Une remarque très importante à ce point de vue, c'est que les prétendants de VOdyssée n'ont aucun dieu pour eux. Les divinités même qui, dans la pre- mière partie du poème, avaient des griefs contre le héros ne prêtent pas un seul instant leur secours à ses ennemis. Le fait est d'autant plus digne d'atten- tion que bien des raisons poétiques militaient en faveur d'une conception différente. L'exemple de VIliade qui tire en partie son puissant intérêt drama- tique du conflit des dieux devait engager des poètes nouveaux à faire usage des mêmes moyens; et on ne peut nier que l'intervention d'une divinité en faveur des prétendants aurait permis à un grand poète d'introduire dans les chants de la seconde partie une variété qui y fait défaut. Si donc ce moyen facile et opportun a été laissé de côté, ce ne peut être par un effet du hasard. Deux conjectures s'offrent d'elles- mêmes. Ou bien l'on n'a pas voulu montrer les dieux en lutte les uns contre les autres, et alors c'est une révélation bien remarquable de la force nouvelle que commençait à prendre l'idée de Tunité divine. Ou bien il a paru peu convenable d'accorder la protec- tion spéciale d'une divinité à des hommes violents et injustes; mais ce second sentiment n'est pas moins nouveau que le précédent, auquel d'ailleurs il se rattache intimement. VIliade n'a point de tels scrupules. Il y a des dieux pour protéger Paris, le ravisseur d'Hélène; il y en a même pour seconder Pandaros, quand il viole ouvertement la foi jurée. Si donc la morale, dans rensemble de VOdyssée^ a tant d'influence sur la conception du rôle des dieux qu'elle prévaut même contre des raisons d'art et de poésie, c'est là une chose tout à fait caractéristique.

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