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XXX
PRÉFACE

même dans les sujets qui semblent les mieux connus. L’ouvrage de Müller date de près d’un demi-siècle. S’il garde toujours un grand mérite général de vérité et d’harmonie, il n’en est pas moins vrai que sur beaucoup de points il laisse aujourd’hui à désirer. En maint endroit il serait à retoucher ou à compléter. Il est souvent plus simple de faire une œuvre nouvelle que de remanier un livre vieilli.

L’esprit même qui anime tout l’ouvrage de Müller, cet esprit dont j’ai dit tout à l’heure les rares qualités, diffère cependant par quelques nuances de celui que nous portons aujourd’hui dans ce genre d’études. O. Müller est un idéaliste qui s’arrête avec complaisance sur les côtés nobles des choses et qui les exprime aussi avec noblesse, en termes graves et généraux. Tout ce qu’il y a dans l’art grec d’harmonie, de grâce, de mesure, est admirablement senti par lui, et rendu avec émotion, quoique d’une manière un peu abstraite. Mais le détail trivial et vivant, les côtés un peu bas quoique réels, les limites mêmes de ce génie grec si justement admiré, tout cela s’efface volontiers chez lui et s’atténue. La littérature, depuis un demi-siècle, sous des influences diverses, s’est habituée à une franchise plus âpre. Nous voulons voir à nu la réalité. Nous exigeons qu’on nous la décrive avec une sincérité absolue, en physiologiste ou en physicien. Que la littérature abuse aujourd’hui du scalpel et de l’anatomie, c’est fort possible ; mais l’abus ne condamne pas l’usage. C’est par une extension légitime et durable de la mé-