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INTRODUCTION

les Asiatiques, au contraire, habitant des pays chauds, de la vivacité d’esprit, mais peu d’énergie, tandis que les Grecs, grâce à leur climat tempéré, alliaient l’énergie du caractère à l’intelligence[1]. Cet égal développement de facultés diverses a été la cause de l’heureux équilibre et de l’harmonie qu’on remarque dans les grandes œuvres de la littérature en Grèce comme dans celles de l’art. L’Hellène a toujours eu de la raison dans l’imagination, de l’esprit dans le sentiment, de la réflexion dans la passion. Jamais on ne le voit entraîné totalement d’un seul côté. Il a, pour ainsi dire, plusieurs facultés prêtes pour chaque chose, et c’est en les associant qu’il donne à ses créations leur véritable caractère.

Par là aussi, il est en contact, de mille manières à la fois, avec la nature et avec ses semblables. Les races lourdes et lentes ne sont capables — à l’origine du moins et avant l’éducation — que d’un nombre restreint d’impressions monotones qui donnent à leurs idées quelque chose de solide. Elles pensent peu, elles imaginent peu ; leurs pensées sont bien assises et leurs conceptions semblent inflexibles. Les Grecs, race éveillée, active, se comportent tout autrement. D’innombrables impressions se forment sans cesse en eux. La nature leur parle un langage infiniment varié, toujours écouté et toujours nouveau. Ils s’intéressent non seulement à ses grands phénomènes, mais aussi à ses aspects changeants, aux nuances délicates et fugitives de sa vie éternelle. Et ce n’est pas là le privilège de l’Ionien d’Asie Mineure, ni de l’habitant de l’Attique ; ce n’est pas même celui des populations riveraines de la mer, qui associent la vie du pêcheur ou du marchand à

  1. Aristote, Politique, VII, 7 (p. 327 b, Bekker).