Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/614

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

564 CHAPITRE XII. — LA THEOGONIE

fortement des âmes naïves et crevantes. Toutes ces choses agissant à la fois, on peut se représenter combien elles devaient être prises et captivées par un tel poème. Du commencement à la fin, un rêve divin se déroulait dans l'esprit de l'auditeur, un rêve plein de réalité. Ils regardaient naître elgrandir ces superbes familles de dieux, et, selon la portée de leur esprit, ils entrevoyaient plus ou moins sous les mythes tout ce qui s'y cachait en fait de connais- sance de l'homme et du monde. La Théogonie était à la fois pour eux un spectacle admirable et une sug- gestion perpétuelle : l'imagination, le sentiment et la finesse de l'esprit y trouvaient également leur compte.

Quelquefois ce sens profond des mythes dispa- raissait sous la fable, mais quelquefois aussi il res- tait si apparent, si facile à découvrir, qu'il ne pou- vait manquer d'être immédiatement compris. Qu'on se rappelle par exemple la seconde lignée de la Nuit. N'y a-t-il pas là toute une conception doulou- reuse de la vie humaine ? Des ténèbres sortent natu- rellement les formes vagues et sombres du malheur, la maladie, les inquiétudes, et aussi les mauvais désirs, le mal qu'on subit et celui que Ton fait:

u La Nuit enfanta la Destinée odieuse, et la sombre Kère, et la Mort ; elle enfanta le Sommeil, elle enfanta la tribu des Son«;es ; sans s'unir à personne, voilà ceux qu'enfanta la Nuit érébienne. Kn second lieu, elle mit au monde Momos et la Souffrance cruelle, et les Hespérides qui, au delà de l'Océan, veillent aux belles pommes d'or et aux arbres qui les por- tent ; Némésis, lléau des mortels, naquit aussi de la Nuit fu- neste ; et après elle, la Tromperie, le Désir sensuel, la V^ieil- lesse pernicieuse, et enfin Eris au cœur dur^ »

��1. Théogonie^ 211-225.

�� �