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CHAP. VIII. — LA FIN DE L’HELLÉNISME


tions, dans les récits mêmes. On dirait un Ovide emphatique et boursouflé. Ses personnages sont gonflés d’exagérations ; ils s’agitent furieusement, et pourtant ils ne vivent pas. Son Dériadès, son Orontas, son Morrheus, chefs des Indiens, semblent conçus pour faire peur à des enfants ; géants présomptueux et loquaces, ils ne nous inspirent ni terreur ni pitié.

Ce sont là des défauts criants ; mais, quand on les a reconnus, il faut avouer qu’après tout l’auteur est un vrai poète. L’invention seule de cette œuvre touffue dénoterait déjà une remarquable puissance ; un esprit médiocre n’y eut pas suffi. Mais, de plus, dans cette invention, on sent une pensée de novateur et de chef d’école. L’épopée des purs homériques, tels que Quintus de Smyrne, était bien froide dans son élégance timide, et surtout bien incolore. Nonnos, par un instinct de créateur, s’est représenté tout autre chose : une série de tableaux éclatants, une action grandiose, animée, librement conduite, une versification riche, abondante, sonore, qui se déploierait en expressions magnifiques. C’est cette recherche des tons chauds et de l’éclat, du mouvement et de l’effet, qui explique toute son entreprise.

Doué d’une imagination féconde, il tira de son propre fonds des épisodes, des scènes et des personnages comme personne en Grèce ne l’avait fait depuis bien des siècles ; sa longue épopée est pleine d’enthousiasme ; ses descriptions et ses récits sont d’une richesse de détails étonnante. S’il ne sait pas dégager ni manier les grandes passions humaines, faute de simplicité et de profondeur, il réussit du moins à représenter brillamment les dehors de l’action ; et il y a même des sentiments de second plan qu’il exprime avec bonheur : certains épisodes d’amour rappellent heureusement chez