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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/205

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THÉOCRITE : SES ŒUVRES

nostra sapit ; la culture savante, chez lui, n’a pas étouffé la sensation ; l’homme naturel survit dans le lettré.

Il a d’ailleurs le don dramatique. Cet homme si ardent sait sortir de lui-même. Il sait entrer dans l’esprit des autres, penser ce qu’ils pensent, sentir ce qu’ils sentent. Les personnages qu’il rencontre ou qu’il imagine ne sont pas seulement pour lui de vains fantômes, ou des silhouettes, ou des taches de couleur : ce sont des êtres vivants, qu’il voit vivre, c’est-à-dire penser et sentir, dans un certain milieu avec lequel ils sont en harmonie. De sorte que ce sensitif est en même temps très objectif.

Au service de cette riche nature, il a d’ailleurs les dons d’expression qui font l’artiste : une imagination vive qui réveille pour lui les sensations et recrée les personnages ; un art de versification et de style qui lui permet de traduire, par la musique des mots, toutes les nuances de sa pensée, toutes les vibrations de son âme, et qui se prête à rendre le bavardage de deux commères aussi vivement que les plaintes ardentes d’un amoureux. Par ce rare mélange de qualités diverses, Théocrite est à la fois le plus lyrique et le plus dramatique des alexandrins, et cela dans une fusion exquise autant que neuve des deux éléments essentiels de sa nature.

Le côté purement subjectif et lyrique de son génie se montre à nous isolé et distinct dans quelques pièces où il vaut la peine de l’examiner d’abord : ce sont les chansons amoureuses proprement dites (XII, XXVIII, XXIX, XXX), quelques idylles qui ne sont guère encore que des chants d’amour placés dans la bouche de personnages fictifs (la magicienne, II ; l’amant d’Amaryllis, III ; le Cyclope, XI) ; et enfin l’Épithalame d’Hélène (XVII). L’Épithalame est le plus impersonnel de ces chants ; on pouvait s’y attendre : un épithalame est une ode d’apparat, par conséquent une peinture plus générale que personnelle de l’amour légitime, et d’un amour à