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CHAPITRE V. — POLYBE

plus populaire. Il abonde en élégances banales et fanées, en métaphores usées[1]. Chose plus grave, il aime les grands mots vagues et inexpressifs, les épithètes qui s’appliquent à tout, parce qu’elles ne conviennent proprement à rien ; par exemple, cet adjectif ὁλοσχερής (considérable, sérieux), dont il fait un si étrange abus ; ou encore ce προειρημένος, qu’il emploie à tout instant. Pour dire que deux adversaires font trêve sans avoir pu remporter l’un sur l’autre d’avantage décisif (ce que le grec classique aurait dit à peu près ainsi : οὐδετέρων κρατησάντων λαμπρῶς), il écrira : οὐδὲν ὁλοσχερὲς προτέρημα δυνάμενοι λαβεῖν κατ’ ἀλλήλων[2]. Ou encore : Διότι πλείους εἰσὶ πιθανότητες ἐν τῇ κατ’ Ἀριστοτέλην ἱστορίᾳ (en grec classique : πιθανώτερον τὸ ὑπ’ Ἀριστοτέλους λεγόμενον). Et ainsi de suite. Une phrase de Polybe, ainsi bourrée de mots abstraits ou vagues, n’a presque plus l’air d’être grecque : on dirait une traduction médiocre d’un article de journal contemporain.

Et cette phrase est toujours d’une ampleur prolixe et monotone. Pour obtenir l’ampleur, qui semble être la qualité qu’il prise par dessus tout, il a un procédé très simple : c’est de mettre toujours deux mots où un seul suffirait ; il procède par répétitions de synonymes. Ensuite, il assemble ses membres de phrases en périodes qui visent à être isocratiques, mais qui sont surtout fastidieuses : car, n’ayant ni sensibilité ni imagination, n’étant capable que de disserter d’une façon didactique, il va toujours du même pas, sans la moindre variété d’allure, sans le moindre changement de ton. On peut dire sans exagération que la phrase de Polybe n’a vraiment qu’une qualité remarquable, la clarté.

Dans l’ensemble de sa composition comme dans les

  1. Par exemple, πόλεμον ἐκκαίειν, pour πόλεμον ποιεῖσθαι.
  2. Polybe, I, 18, 6.