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CHAPITRE V. — POLYBE

progrès même de son évolution, plus avancés alors que celle de sa rivale, et par conséquent plus voisine de la décadence[1].

Sur la Grèce, ses jugements sont d’une clairvoyance effrayants. Le patriote qui a combattu pour elle, l’ami du « dernier des Grecs », du noble Philopémen, se croit tenu, comme historien, de dire à ses compatriotes toute la vérité, et cette vérité est terrible. La Grèce se meurt, et par sa propre faute. Elle manque de moralité[2]. Elle a remplacé l’esprit public par un individualisme féroce, qui entretient chez elle des divisions incurables[3], et qui la dépeuple[4]. Sur ce dernier point, en particulier, il est d’une netteté impitoyable : les familles grecques n’ont plus d’enfants ; elles en élèvent un ou deux, pour qu’ils soient riches et vivent dans la mollesse ; vienne une guerre ou une épidémie, la race disparaît, et quand l’ennemi du dehors se présente, il s’établit sans coup férir dans un pays qui n’a plus de combattants à mettre en ligne : une population intelligente, aisée, cultivée, mais clairsemée, est une proie facile offerte aux races énergiques. — On a reproché à Polybe de manquer de patriotisme, de courtiser le succès : mais le vrai patriotisme ne consiste pas à dissimuler à sa patrie les vices dont elle meurt ; il y a certainement de l’amour dans l’âpreté de ces reproches, et sa vie suffit à le prouver. A-t-il du moins été juste pour le passé de la Grèce ? Ses jugements sur la démocratie d’Athènes et de Thèbes sont sévères[5]qui oserait dire qu’ils soient immérités ? Quelques mots sur la politique de Démosthène semblent plus difficiles à accepter[6]. Il est certain que son esprit positif était peu

  1. Polybe, VI. 51.
  2. Polybe, VI, 56, 13.
  3. Polybe, XXXVIII, 5.
  4. Polybe, XXXVII. 9.
  5. Polybe, VI, 43.
  6. Polybe, XVIII, 14 (surtout §§ 13-14).