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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

n’y trouve que le malheur. Heureux, s’il s’en dégage à temps par le repentir (Μετάνοια, c. 10 ; Μεταμέλεια, c. 35) ! car, alors, par une route étroite, en pratiquant une discipline austère (c. 16, Ἐγκράτεια, Καρτερία), il arrive à la vertu, à la vraie science et au bonheur. Tout l’ouvrage est plein d’un profond mépris de l’instruction profane[1], non seulement on peut arriver sans elle à la vraie science, qui est celle du bien, mais c’est à peine si elle y contribue, alors même qu’elle est bien dirigée (c. 33) ; sa principale utilité, c’est d’occuper les jeunes gens, de les détourner des plaisirs (ibid.). Cette conception de la vie est au fond stoïcienne, et elle appartient au stoïcisme de l’empire, à celui d’Épictète. Mais, outre que le livre se donne lui-même pour pythagoricien, il l’est en effet par l’emploi de l’allégorie, par le désir manifeste de résumer tout ce qu’il faut savoir pour bien vivre en quelques traits satisfaisants, faciles à retenir, et de les grouper même en une image. Si l’idée religieuse, familière au néopythagorisme, en est absente, c’est sans doute que l’auteur a voulu surtout faire ici appel aux profanes. Le grand succès de l’ouvrage est attesté à partir du second siècle de notre ère[2] ; nul ne le cite auparavant ; il est probable qu’il a dû naître peu avant ce temps, puisqu’il est d’ailleurs imprégné de l’esprit qui se manifestait alors. De nos jours, l’allégorie, surtout lorsqu’elle est longue et compliquée, a peu d’admirateurs ; celle-ci est sèche, laborieuse, sans grâce ; mais si on la considère comme un moyen de populariser un enseignement essentiel, on ne peut lui refuser tout mérite.

  1. Cela seul suffit à réfuter l’opinion de Susemihl, dans la note citée, qui est porté à l’attribuer a un rhéteur teinté de philosophie.
  2. Voir Susemihl, même passage. Lucien goûtait vivement cette allégorie, qu’il a imitée deux fois. Il me semble qu’on sent aussi son influence dans les visions d’Hermas.