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LUCIEN ; SES CRÉATIONS LITTÉRAIRES

sorte de brusquerie et d’âpreté, certaines protestations.

Sa phrase, très habilement conduite, est pourtant libre et souple. Dans la conversation, elle est brève, vive ; elle pose la question avec malice ou naïveté, lestement ; elle jette la riposte comme un trait ; ou elle peint naïvement les nuances de l’embarras, du dépit, de l’impatience, de la surprise, de l’ébahissement. Dans la description, dans le conte, elle est alerte, dégagée, fine et souvent perfide, très pittoresque par ses mouvements irréguliers, ses arrêts, ses détours, ses élans ; elle sait se faire lente, analytique, curieuse, pour mettre en valeur les détails qui plaisent ou qui amusent, comme aussi courir, quand il le faut, ou même voler, pour arriver plus vite aux bons endroits. Dans le raisonnement, dans le développement des idées, elle s’affranchit volontiers de la régularité de l’école ; la pensée qui est en elle aime à se modifier chemin faisant, à s’étendre, à jeter en passant des aperçus secondaires, mais non pas au point de se perdre dans les chemins de traverse ; elle est toujours lancée vivement, vers un but qu’on devine, qu’elle laisse voir, qu’elle atteint. Il y a dans toute son allure une maîtrise qu’on ne trouve au même degré chez aucun autre écrivain du temps.

VIII

Ce qui est vrai du style de Lucien l’est aussi des genres littéraires où il a excellé. Les types auxquels son nom est attaché sont faits de pièces d’emprunts, adroitement choisies et ajustées. Mais, en les ajustant ainsi, il a fait œuvre de création.

Comme il nous le dit lui-même, ce sont les dialogues des philosophes socratiques qui ont été ses premiers