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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/632

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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

bien connaître, on y trouverait, cela est certain, des modèles de toutes ces sortes de railleries. Les pamphlets n’y avaient pas manqué ; mais le pamphlet, de sa nature, est œuvre éphémère ; et cela explique que les meilleurs aient disparu. Lucien, lui, a profité d’une chance heureuse ; peut-être nous paraîtrait-il moins original en ce genre, s’il n’y était presque isolé. Quoi qu’il en soit, reconnaissons qu’il y a excellé. Si sa fantaisie y est moins vive que dans les dialogues, elle s’y trouve pourtant mélangée partout à la verve satirique, aux observations piquantes, aux vues ingénieuses, à l’argumentation pressante, et c’est ce mélange qui semble bien avoir été le trait distinctif de sa manière. Rien de plus varié que le tissu de ces amusantes compositions. Que la trame en soit narrative ou dialectique, il y fait serpenter toute une broderie merveilleuse d’anecdotes, de bons mots, de citations, de souvenirs classiques, qui, sans effacer le dessin principal, l’égaient en mille manières. D’autres ont eu autant que lui le don de l’ironie, quelques-uns l’ont surpassé par la force de l’argumentation ; personne peut-être ne l’a égalé par cette variété éblouissante, au milieu de laquelle il se joue avec tant de grâce et de prestesse.

Le récit fantastique, dont il nous a laissé un modèle exquis dans son Histoire vraie, semble lui appartenir plus en propre. L’original qu’il a si joliment su contrefaire, c’étaient les narrations paradoxales des voyageurs, depuis celles d’Ulysse dans l’Odyssée jusqu’à celles d’Iamboulos relatives à la Grande Mer. Mais pour déclarer dès la première ligne qu’on allait mentir, et pour amuser ensuite son lecteur pendant deux livres avec ces mensonges avoués, il fallait vraiment tout son esprit. D’autant qu’il n’y a là aucune thèse, aucune satire continue. Rien qu’une série prodigieuse d’inventions, plaisantes ou burlesques, qui se succèdent avec la plus