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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/845

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PLOTIN

en contact avec Dieu n’ont plus pour lui qu’une valeur secondaire. Il ne s’intéresse vraiment ni à la science, ni à l’État ; il n’a au fond qu’un médiocre sentiment de la beauté, qui passionnait son maître. Ce qui l’attire, ce qui l’absorbe, c’est la contemplation par l’intelligence. La vraie vertu pour lui, celle qui est digne de l’homme, ce n’est pas celle qui se manifeste dans la société, bien qu’elle lui paraisse à coup sûr nécessaire et bonne ; il l’approuve, mais elle ne le retient pas. Il faut s’unir à Dieu par la pensée, monter à Dieu, vivre en Dieu : voilà le but ; voilà ce qui vaut la peine d’être constamment cherché.

L’intelligence humaine désormais doit s’orienter vers cette idée. Tous ses efforts, toutes ses démarches tendront là. Elle ne cherchera plus à connaitre le monde pour l’admirer, encore moins pour savoir s’y conduire ; elle n’y verra qu’un degré nécessaire qu’il faut franchir ; elle y mettra le pied pour le dépasser[1]. Toujours plus haut et plus loin. L’homme lui-même, l’âme, la société ne sont pas des choses sur lesquelles elle puisse s’arrêter. Elle les considère en passant ; c’est une connaissance qui prépare la vraie connaissance ; rien de plus. Il faut apprendre à voir, au travers de ce qui est sensible, ce qui ne l’est plus ; il faut habituer le regard de l’âme à se poser sur l’intelligible. Cela exige une purification constante (ϰάθαρσιν (katharsin)), pour qu’elle ne soit plus ni troublée ni offusquée par rien de ce qui vient des sens. Ainsi la vie intérieure, absorbée dans l’idée de Dieu, se substitue à la vie active. Tout l’homme est pris par cette poursuite éternelle d’une vision qui dépasse sa nature, mais qui lui apparaît désormais comme seule digne de son amour.

  1. Enn. I, l. VI, chap. VIII : Ἰδοντα γάρ δεῖ τὰ ἐν σώμασι ϰαλὰ μή τι προστρέχειν, ἀλλὰ γνόντας ὡς εἰσὶν εἰϰόνες ϰαὶ ἴχνη ϰαὶ σϰιαὶ, φεύγειν πρὸς ἐϰεινο οὔ ταῦτα εἰϰόνες..