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ATHANASE

dans l’autre, il le traite d’antechrist[1]. Qu’il y ait donc en lui un politique, cela est incontestable ; et, comme tout homme d’action jeté dans une société mélangée, il a su se plier aux circonstances et parler le langage officiel. Mais cela n’empêche pas qu’il ne croie faire son devoir, lorsqu’il agit et lorsqu’il parle, lorsqu’il accuse et lorsqu’il se défend. Et si sa conviction lui fait souvent voir les choses à un point de vue personnel et contestable, en revanche elle prête à ce qu’il dit un accent qu’on ne trouvait plus depuis bien longtemps dans l’éloquence païenne.

Étant ainsi orateur par tempérament, il l’est toujours, et même lorsqu’il ne faudrait point l’être. Son Histoire des Ariens, sa Vie de saint Antoine, semblent se présenter comme des récits historiques. Ce sont en réalité des œuvres oratoires, passionnées, qui tiennent l’une du pamphlet, l’autre du panégyrique[2]. Ce qu’on admire dans le premier, c’est la vivacité satirique des peintures, l’imagination indignée qui met tout en scène, anime et fait parler les personnages, c’est la subtilité vigoureuse qui découvre et explique les intrigues, vraies ou supposées, c’est aussi, il faut bien le dire, le ton de colère qui échauffe beaucoup de ces pages. On comprend, en les lisant, quelle influence un tel homme pouvait exercer sur le peuple mouvant d’Alexandrie, sur ces moines du désert dont l’âme exaltée vibrait à sa voix. Et on ne s’explique pas moins, en face de la variété d’invectives et d’imputations injurieuses qu’il lance contre l’empereur Constance, combien le pouvoir impérial avait de raisons de se défier d’un évêque qui mettait secrètement son éloquence et son autorité personnelle au service de telles passions.

  1. Hist. des Ariens, 74, p. 307.
  2. Voyez, sur ces deux œuvres, les chap. viii et ix de Fialon, ouv. cité.